Le salarié continue d’acquérir des droits à congés payés sans les perdre pendant un arrêt maladie

Vos droits juridiques

Revirement relatif à l’acquisition des droits à congé payés…

JURISPRUDENCE SOCIALE

Le salarié continue d’acquérir des droits à congés payés sans les perdre pendant un arrêt maladie et un congé parental…

La Cour de cassation, dans une série d’arrêts rendus le 13 septembre dernier, précédée par la Cour d’appel de Versailles en juillet, procède à un revirement de jurisprudence portant sur l’incidence des arrêts de travail pour maladie ou pour accident du travail ou congé parental sur l’acquisition (et donc la prise) des droits à congé payés ou à l’indemnité compensatrice de ces mêmes droits.

Cour de cassation, chambre sociale 13 septembre 2023 : Pourvois n° 22-17.340 (TRANSDEV) à 22-17.342 ; 22-17.638 (Transport Daniel Meyer) ; 22-10.529 (Institut des métiers du Notariat), 22-11.106 (L’Institut national des formations notariales, INFN).

https://www.courdecassation.fr/decision/65015d5fee1a2205e6581656
https://www.courdecassation.fr/decision/65015d62ee1a2205e6581658

 DROIT EUROPEEN

L’article 31 § 2 de la Charte des droits sociaux fondamentaux et l’article 7 de la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003 de l’Union européenne garantissent annuellement, à tout travailleur, des congés payés (4 semaines par an).

Or, le code du travail prévoit des dispositions contraires- à la Directive européenne sur le temps de travail de 2003 (CJUE 24 janvier 2012, affaire C-282-10). Ceux-ci s’acquièrent à l’ancienneté…

La chambre sociale de la Cour cassation déclare « non-conformes » au droit européen, pour la première fois, dans le cadre de revirements les dispositions du code du travail qui empêchent toute acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour une maladie ordinaire ainsi que celles limitant l’acquisition des congés en cas d’arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, dépassant une durée d’un an…

Pour résumer, l’absence pour maladie (ou pour congé parental, décision à venir de la Cour de cassation) n’a plus d’effet interruptif de l’acquisition de droits à congé.

• Maladie ordinaire

En droit européen, lorsque le salarié ne peut pas travailler en raison de son état de santé, situation et indépendants de sa volonté, son absence n’a pas de conséquences sur le calcul de ses droits à congé payé, pour ceux qu’il acquiert.
Jusqu’ici, dans le droit français, de manière dérogatoire, un salarié atteint d’une maladie non professionnelle ne pouvait plus acquérir de jours de congé payé pendant le temps de son arrêt de travail.

• Maladie résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle

Du fait de l’origine professionnelle de l’arrêt maladie, le salarié Français conservait jusqu’à présent une acquisition de droits à congés payés, malgré l’absence de travail effectif, pendant une année (L. 3141-5 du code du travail). Toutefois, il perdait ce bénéfice de droits à des congés payés nouveaux, au-delà de l’année d’acquisition de ses droits consécutive à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle (ce qui était sans doute la situation la plus choquante).

Dans le droit de l’Union européenne, un salarié victime notamment d’un accident de travail peut continuer d’acquérir des droits pendant la totalité de son arrêt. Ce qui est plutôt justice puisque sans la responsabilité de l’entreprise, il aurait pu travailler et acquérir des temps de repos rémunérés et les prendre…

Dans toutes les situations de maladie, les droits à congés payés ne pouvant être effectivement pris en absence rémunérée, les droits acquis dans la période d’absence pour maladie se retrouvent en général payés et indemnisés, par le truchement d’une indemnité compensatrice de congés payés.
Ils peuvent aussi être affectés, lorsqu’il existe, sur un compte épargne-temps pour en éviter la perte au terme de la période de prise légale ou/et conventionnelle du congé.

Prescription de ce droit nouveau d’acquisition des jours de congés payés ou du droit au versement d’une indemnité compensatrice de congés payés après un arrêt maladie de (très) longue durée ?

La prescription du « droit » à congé payé ne commence à courir, pour la Cour de Cassation, que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure de jouir de ce droit. Il le fera en temps utile et jusque-là, le salarié conserve des droits. C’est nécessairement une incitation à réclamer devant les juges sur ce seul moyen si les employeurs ne prenaient pas en compte rapidement ces décisions du 13 septembre.

Autrement dit, qu’elle soit fixée par la loi ou de façon conventionnelle, une période est déterminée, au cours de laquelle le salarié doit prendre ses congés payés.
Ce n’est que lorsque cette période s’achève que commence à courir le délai de prescription de l’indemnité de congé payé : le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a donc pris des mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé et l’en a informé ou y était tenu de l’en prévenir…

Cette position va donner un caractère fluctuant au point de départ et à l’échéance de l’exercice des droits, qui pourrait tempérer les modalités et la temporalité des actions des salariés.
Mais, cette difficulté ne remet pas en cause le principe et droit du salarié de réclamer ses droits à congés payés acquis dans la période d’absence, dorénavant, sans risque de perte.

Dans l’absolu, un arrêt maladie peut durer plusieurs années et bien au-delà même d’une durée de prescription de versement (par exemple) de droits à élément de rémunération (trois ans, aujourd’hui).

De fait, même dans les affections de longue durée, il est rare qu’il ne se passe rien dans les deux ans qui suivent le début de l’arrêt et bien souvent, l’arrêt trouve un dénouement…

La provision comptable pour congés payés et l’utilisation de ces congés payés par le salarié de retour d’une maladie de longue durée participent même à la reprise d’activité…

Dans l’une des affaires examinées par la cour de cassation, cela faisait dix ans que la salariée n’avait pas acquis de droits à congés payés… Mais cet état de fait résultait d’une requalification de la relation d’activité, en relation de travail salariée, ce qui demeure une situation qui n’est pas la plus représentative de situations de maladie de moyenne ou longue durées.


 Fondements de la décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation, eu égard à l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif au droit au repos, écarte les dispositions du droit français non conformes à la Directive européenne de 2003.

Elle juge, à la suite d’ailleurs des juges d’appel, que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) continuent, malgré la période d’inactivité, d’acquérir des droits.

La Cour administrative d’appel de Versailles avait déjà condamné l’État le 17 juillet dernier pour mauvaise transposition de la directive « temps de travail » de 2003.

Dans un arrêt toujours du 13 septembre, la Cour Cassation retient des garanties similaires s’agissant du congé parental et confirme la nécessité pour l’employeur de reporter les congés payés acquis par le ou la salarié·e après la date de reprise du travail – Cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-14.043.

 DROITS EN ACTIONS

Quelles suites techniquement possibles seront données ou à donner à cette jurisprudence de revirement ?

La date de mise en conformité et de prise en compte de la règle reste à ce jour incertaine. Ce qui est indiscutable, c’est que depuis le 13 septembre, la France doit se mettre en conformité avec la législation européenne (à noter que ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation était interrogée sur ce sujet, mais qu’elle n’avait pas reconnue le droit français non conforme).

Pour certains commentateurs, ces décisions de la Cour de cassation constituent inévitablement un « véritable séisme » pour les entreprises dont les salariés pourraient se croire légitimement en droit de réclamer rétroactivement le paiement des congés payés des périodes durant lesquels ils étaient en arrêt maladie.

Les agents de la Fonction Publique sont également dans l’observation de ces évolutions bien qu’ils relèvent de leur « Statut » public.

° Responsabilité de l’État

La Cour de cassation en 2013 (n° 11-22.285) énonçait encore que la directive de 2003 ne pouvait être invoquée dans les litiges entre employeurs et salariés. Elle « n’aurait pas eu d’effet direct ».

Toutefois, une action en défaut de mise en conformité contre l’État était possible pour un salarié ou/et un syndicat.
Le tribunal administratif de Montreuil, suivi par la Cour d’appel administrative de Versailles le 30 juin 2020 avait rejeté les actions de syndicats estimant que ceux-ci n’avaient pas établi leur préjudice moral propre.

La Cour d’appel de Versailles le 17 juillet 2023 opère le revirement rappelant le défaut de transposition suffisante de la directive européenne dans le droit français. La responsabilité de l’État est donc bien engagée et la législation française non conforme. La Cour de cassation reprend…

° Projet de loi imminent ?

La France et le gouvernement devraient passer par un projet (les députés ou les sénateurs par une proposition…) de loi qui pourrait mettre en œuvre cette mise en conformité du droit français au droit européen et déterminer et préciser aussi la date d’effectivité générale de celle-ci.

Certains évoquent un plafonnement des droits, mais on ne voit pas là une sortie de la non conformité…

Il est toutefois bien entendu que les lois ne sont pas rétroactives et qu’une décision de la Cour de cassation ne vaut d’abord que pour les affaires jugées que la haute juridiction a été amenée à trancher. Mais, cette jurisprudence en appelle à de nouvelles…

Une action devant les juridictions européennes bien que relayée à présent par les juridictions françaises prendrait plusieurs années.

La modification de la loi permettrait d’éviter la multiplication des actions en responsabilité contre l’État devant les juridictions pour défaut de transposition de la directive.

Ce sont donc plutôt les pratiques des entreprises qui sont, dès maintenant, en capacité d’adapter, temporairement ou durablement, leur gestion des droits à congés payés, suite à ce revirement. Elles le peuvent plus rapidement que le législateur national, notamment pour les situations d’absence pour maladie en cours, dans cette année, et pour la plupart depuis juin, septembre ou janvier 2023.

L’issue n’est certainement pas non plus dans le déclenchement d’une salve de contentieux aux prud’hommes ou à l’exercice en cascade d’actions syndicales de mises en conformité du code du travail à la directive européenne devant les juridictions administratives.

Dans les pires scénarii de ces actions en justice, certains redoutent des réclamations rétroactives des droits au-delà de la prescription triennale, d’autres rappellent le pragmatisme des praticiens du droit ou des avocats suggérant un rappel complet des droits, voire la résiliation judiciaire ou la prise d’acte de la rupture du contrat pour faute contractuelle de l’employeur, en n’ayant pas permis aux salariés malades d’acquérir leurs droits à congés payés…

Dans le « feu » des actions, les litiges peuvent très vite croître…

Pourtant, comme toujours, certaines entreprises attendront nécessairement une position législative voire, préalablement, une position réglementaire, avec le risque de contentieux. D’autres, s’étonnent de la faiblesse du fondement juridique puisqu’il suffit que la directive et la charte sociale établissent le droit à 4 semaines, pour qu’un salarié ait quatre semaines garanties, sans autre distinction. Elles en appellent même à une modification de la Directive et stigmatisent le pouvoir exorbitant des juges face au législateur…

On peut raisonnablement « scruter » les positions à venir du Gouvernement sur cette question, qui ne devrait pas tarder à arriver… Le ministère du travail aurait déjà fait savoir que la question et une réponse à ces décisions de la Cour de cassation sont en préparation.

Si la perspective d’un changement rapide est plutôt escomptée et attendue du côté des entreprises, les négociateurs de branche, les délégués syndicaux voire les CSE peuvent être force d’initiation d’adaptations, par la négociation collective, des règles de gestion des congés payés.

A suivre.

Pôle Service Juridique UNSA, Christian HERGES, Responsable Service Juridique, Sophie RIOLLET, Juriste en droit social, Secteur Juridique National UNSA

TEXTES :

– DIRECTIVE 2003/88/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail
https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2003:299:0009:0019:fr:PDF