Annulation du licenciement pour conversations privées « sexistes » utilisant la messagerie professionnelle ?

Le licenciement pour faute motivé par des conversations privées sexistes depuis la messagerie de l’entreprise est nul…

PROPOS SEXISTES, QUESTION DE VIE PRIVÉE ?

A propos de l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, 25 septembre 2024 – pourvoi n° 23-11.860
https://www.courdecassation.fr/deci…

° FAITS :

Le salarié concerné était directeur général en charge de la vente, du marketing et de la logistique, avec un statut de cadre dirigeant.

° PROCÉDURE :

La Cour d’appel avait annulé le licenciement.

Au moyen de son pourvoi, l’entreprise contestait comme applicables à cette décision favorable au salarié  :

  • qu’il résultait de l’article L. 1121-1 du code du travail et de l’article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que le « salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et d’autre part, que le licenciement reposant, même partiellement, sur un motif lié à l’exercice non abusif de la liberté d’expression, est nul« 
  • les « mails avaient un caractère privé, qu’aucun fait n’était pénalement répréhensible, que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, diffamatoire ou injurieux, que les mails n’apparaissaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, qu’ils étaient étrangers à tout harcèlement sexuel, y compris en considération de la prévention de ceux-ci et que par ailleurs, l’interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle serait regardée comme portant en elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression du salarié« .
  • Il appartenait au « juge de rechercher et ainsi que l’y avait justement invité l’employeur, si la sanction de la diffusion, par un salarié cadre dirigeant disposant d’un niveau élevé de responsabilités, depuis sa messagerie professionnelle, d’images et propos (*) au contenu stigmatisant et attentatoire à la dignité de la femme à l’adresse d’au moins un de ses subordonnés, n’était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché et notamment, si un employeur n’est pas tenu de sanctionner tout propos ou échange attentatoire à la dignité de la femme et de prévenir les agissements sexistes« .

(*) Blagues et commentaires humoristiques vulgaires et graveleux, une « photo du radar comme le calendrier véhiculaient une image stéréotypée, dégradante et attentatoire à la dignité de la femme »

Par ces arguments et moyens l’entreprise entendait que le juge de cassation remette en cause la décision de la Cour d’appel qui lui était défavorable.

° FONDEMENTS JURIDIQUES REPRIS PAR LA COUR DE CASSATION :

  • Il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au
    respect de l’intimité de sa vie privée.
    Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances.
  • Les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, en vertu desquels un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
  • Le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l’intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
  • Une conversation de nature privée (entre trois personnes) n’étant pas destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d’être justifié et est atteint de nullité comme portant atteinte au droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié.

Principe rappelé :

Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances.

L’employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.

° DROIT EN ACTIONS :

Une fois encore, il est démontré que l’application du droit et des libertés fondamentales doit d’abord primée même si celui ou celle qu’elle protège n’est pas pleinement moralement défendable.

Cette décision reste « appréciative » et respectueuse de l’examen des faits des juges du fond de la Cour d’appel qui ont à la fois sanctionné l’employeur pour une atteinte à la vie privée et au droit à la liberté d’expression, tout en ayant cherché à apprécier le caractère disproportionné d’un décision de licenciement pour les comportements et propos de salariés plus que déplacés…

Sur le plan du droit seul, la démonstration juridique est « exemplaire », sur le plan des « valeurs » la réponse de la Cour de cassation au pourvoi est sans doute plus regrettable, mais elle se prononce en « droit ».

Sans doute en aurait-il pu être autrement si les griefs et propos avaient été différents, plus graves encore ou élargis à plus de deux autres collègues de l’entreprise. La décision n’exclut elle-même pas, à ce titre, de pouvoir être différente.

On ne peut que souhaiter que la même analyse rigoureuse, tant des faits que de leur appréciation par les juges du fond et de leur portée, pour la défense certes des salariés contre un licenciement irrégulier, mais pour des griefs tout de même « reprochables », certes peut-être pas au titre de la faute grave… Encore que les échanges ont été réputés privés et que les libertés publiques doivent prévaloir. Cette « contradiction » de la nature du motif et de la décision finale porte tout l’intérêt de cette décision de la Cour de cassation.

Vigilance aux entreprises à bien qualifier les faits, par leur nature effective et leur portée effective, sans porter atteintes aux libertés fondamentales.

Christian HERGES, Responsable Juridique, Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

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