Ruptures conventionnelles : Enjeux, réformes et position de l’UNSA pour 2026

Coaching Syndical négociation

Contexte

Fin septembre 2025, le Premier ministre Sébastien Lecornu a fait savoir aux partenaires sociaux qu’il souhaitait poursuivre les discussions sur l’assurance chômage, notamment concernant les ruptures conventionnelles. Ce sujet revient régulièrement dans le débat public ces derniers mois et est présenté comme une piste d’économie possible pour les finances publiques.

Conséquemment, plusieurs études, de l’Unédic et de l’Institut des politiques publiques (IPP), ont été publiées depuis la rentrée pour éclairer les annonces gouvernementales.

Le secteur économie, emploi et formation professionnelle de l’UNSA vous propose donc de faire le point sur ce dispositif et les évolutions envisagées par l’exécutif tout en rappelant notre position syndicale sur le sujet.


Introduction : Un dispositif devenu incontournable

Depuis leur création par la loi du 25 juin 2008, les ruptures conventionnelles se sont imposées comme un outil essentiel de régulation du marché du travail français. Conçues pour sécuriser les ruptures amiables entre employeur et salariée, elles sont devenues une modalité ordinaire de fin de contrat.

Leur progression est continue, hormis l’interruption liée à la crise sanitaire, et a atteint en 2024 un volume inédit.

La question d’une réduction de ce dispositif à des fins budgétaires est revenue régulièrement dans le débat public ces dernières années. L’UNSA considère cependant que ces débats se concentrent excessivement sur une logique de restriction des droits, au détriment d’une analyse des conditions de travail qui motivent nombre de ruptures conventionnelles.


I. Un dispositif structurel du marché du travail

A. Évolution et profils concernés

La rupture conventionnelle s’est progressivement normalisée depuis son introduction. En 2024, le volume a atteint 515 000 ruptures signées.

Données clés sur les ruptures conventionnelles (2024)

IndicateurValeur
Ruptures conventionnelles signées515 000
Ouvertures de droits à l’ARE liées aux RC375 000
Part des RC dans les ouvertures de droits19%
Dépenses d’indemnisation liées aux RC9,4 Md€
Allocataires indemnisés chaque mois après RC565 000
Part dans l’ensemble des allocataires20%
Part des dépenses liées aux RC pour l’Assurance-chômage26%
Source : Unédic (2025), IPP (2025)

Les salarié·es concerné·es appartiennent majoritairement aux tranches d’âge intermédiaires. Souvent plus diplômé·es que la moyenne, leurs droits potentiels sont plus longs. Les petites entreprises y recourent davantage, ce qui traduit un usage fréquent du dispositif comme outil de gestion du personnel dans des contextes où le dialogue social est plus limité.

B. Que remplacent réellement les ruptures conventionnelles ?

Les travaux de l’Institut des politiques publiques (IPP, 2025) montrent que la rupture conventionnelle ne remplace que marginalement les licenciements pour motif personnel. Elle constitue surtout un substitut à la démission.

Substitution estimée des ruptures conventionnelles

Type de rupture substituéPart estimée des RC correspondantes
Démissionsapprox 40%
Licenciements pour motif personnelapprox 25%
Source : IPP (2025)

Le contentieux prud’homal reste d’ailleurs stable, avoisinant chaque année 120 000 à 130 000 dossiers, ce qui montre que les RC n’ont pas absorbé les licenciements les plus conflictuels.


II. Un régime d’indemnisation déjà structuré par les différés

L’indemnisation après rupture conventionnelle n’est pas immédiate. Elle est soumise à 3 délais:

  1. Un différé spécifique calculé sur les indemnités supra-légales ;
  2. Un différé congés payés ;
  3. Un délai d’attente de 7 jours commun pour tou·tes les demandeur·euses d’emploi.

Note : Ces délais ne sont pas spécifiques aux ruptures conventionnelles.

En 2024, 35% des allocataires ayant ouvert des droits après une rupture conventionnelle ont un différé spécifique. Seulement 3% ont atteint le plafond de 150 jours. Ces dernièr·es disposent d’une allocation journalière plus élevée, ce qui confirme que les différés touchent des profils particuliers, généralement plus âgés ou cadres.

Différés spécifiques appliqués en 2024

Niveau du différé spécifiquePart des allocatairesAllocation journalière moyenne
Aucun différé65%46 €
Entre 1 et 29 jours25%54 €
Entre 30 et 149 jours7%77 €
150 jours (plafond)3%124 €
Source : Unédic (2025)

III. Les pistes de réforme gouvernementale en 2024-2025

A. Proposition de réforme gouvernementale en 2024

L’une des mesures de cette réforme était l’augmentation du plafond du différé d’indemnisation spécifique, notamment en cas d’indemnités de licenciement supra-légales. Cela signifiait qu’en fonction du montant des indemnités touchées, l’allocataire pouvait attendre plus de 5 mois avant de percevoir son droit au chômage.

L’avis de l’UNSA :

L’UNSA rejetait ce projet de réforme car il allait encore amoindrir considérablement les droits des demandeur·euses d’emploi et affecter notamment les plus précaires, les jeunes, les femmes et les séniors. Pour l’UNSA, les demandeur·euses d’emploi méritent au contraire de la considération, une assurance chômage protectrice financièrement et un service public de l’emploi garantissant un accompagnement de qualité.

B. Été 2025 : Le retour du débat sur les “abus”

Le gouvernement Bayrou a rouvert le débat visant à réduire les “abus” supposés de la rupture conventionnelle, considérant que certaines servent à contourner les démissions (qui n’ouvrent généralement pas de droits) ou les licenciements.

L’hypothèse d’un plafonnement des allocations a été étudiée mais jugée difficile à piloter en raison des effets de comportement (renoncement à la RC ou négociation d’un licenciement).

C. Projet de Loi de Finances (PLF) 2026

La loi de finances pour 2026 s’est finalement écartée des réformes d’ampleur pour retenir une mesure unique : augmenter le taux de contribution patronale sur les indemnités de rupture conventionnelle et de mise à la retraite de 30% à 40%.

L’avis de l’UNSA :

Cette hausse de taxation est proposée dans un contexte où les bilans démontrent une augmentation de l’utilisation des RC, pesant sur les comptes de l’UNEDIC.

Pour l’UNSA, les ruptures conventionnelles doivent être maintenues pour les salarié·es. La mesure proposée dans le PLF 2026 pourrait être une réponse pour réduire certains effets d’aubaine. Cependant, aucune étude d’impact n’a été réalisée sur la diminution potentielle du nombre de RC ni sur les profils des salarié·es pénalisé·es.

D. Les scénarios de l’Unédic (2025)

En réponse aux volontés gouvernementales, l’Unédic a développé plusieurs solutions pour réduire le coût financier.

1. Allongement du différé spécifique

Il s’agirait de relever le plafond actuel (150 jours) calculé en fonction des indemnités supra-légales.

Nouveau plafond envisagéImpact 2e annéeImpact annuel en régime de croisière
150 jours (actuel)0 €0 €
180 jours-25 M€-10 M€
Suppression du plafond-200 M€-60 M€

L’avis de l’UNSA :

Pour l’UNSA, cela donne plus l’impression d’une mesure purement budgétaire que structurelle. Bien que seules 3% des demandeur·euses d’emploi ayant les allocations les plus élevées seraient touché·es, l’UNSA s’inquiète de cette tendance générale de recul des droits.

2. Évolution du calcul du différé spécifique

Une extension plus large consisterait à inclure l’indemnité légale dans le calcul du différé. Cela toucherait la quasi-totalité des demandes.

ScénarioImpact 2e annéeImpact annuel en régime de croisière
Indemnité légale intégrée, plafond maintenu à 150 jours-380 M€-180 M€
Indemnité légale intégrée, plafond porté à 180 jours-440 M€-200 M€

L’avis de l’UNSA :

Cette proposition est injuste. Elle pénaliserait principalement les personnes qui n’ont pas réussi à négocier au-delà des indemnités légales et qui ont la plus faible allocation journalière moyenne. Or, elles représentent 65% des demandeur·euses d’emploi post rupture conventionnelle.


IV. Effets de comportements évalués par l’Unédic

Toute réforme pourrait entraîner des changements de comportement :

  • Effets augmentant les économies : Certain·es salarié·es pourraient renoncer à la rupture et démissionner ou rester en poste. D’autres pourraient accélérer leur retour à l’emploi face à des droits plus courts.
  • Effets baissant les économies :
    • Substitution par un licenciement pour motif personnel.
    • Recours au dispositif “démission-reconversion” (26% des ouvertures de droit après RC remplissaient déjà cette condition en 2024).
    • Reprise d’un emploi court juste après la rupture pour éviter la règle spécifique.

V. Conclusion : La position de l’UNSA

Pour l’UNSA, le recours croissant aux ruptures conventionnelles traduit souvent un malaise social au sein des entreprises. Si la relation de travail se déroulait dans de bonnes conditions, le ou la salarié·e n’aurait pas intérêt à quitter son emploi sans avoir préalablement retrouvé un poste.

Si le dispositif a permis de fluidifier les mobilités et de pacifier les relations de travail, sa banalisation interroge la qualité du management.

Pour l’UNSA, il est indispensable de :

  • Renforcer le dialogue professionnel ;
  • Développer un management participatif ;
  • Favoriser l’autonomie et la reconnaissance au travail.

Ces leviers permettent d’éviter le burn-out et les conflits insolubles.

Enfin, l’UNSA considère qu’une approche purement budgétaire ne saurait répondre aux enjeux structurels. Seule une action sur les causes profondes du malaise au travail permettra de réduire durablement le recours aux ruptures conventionnelles.