Par un arrêt en date du 25 septembre 2024, n° 23-13.992, la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur la recevabilité de preuves issues de clés USB personnelles, non-connectées à un ordinateur et ce, à l’insu du salarié.
Actu’Droit ou des “clés de lecture”…
A propos de Cour de Cassation n° 23-13.992 du 25 septembre 2024, ci-joint.
° EN BREF…
La Cour de cassation se prononce sur la recevabilité de preuves issues de clés USB personnelles non-connectées à un ordinateur, à l’insu du salarié.
Dans cette décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation déclare que la preuve issue d’une clé UBS personnelle non-connectée à un ordinateur à l’insu du salarié peut être recevable, si elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et l’atteinte à la vie privée strictement proportionnée au but poursuivi.
° CONTEXTE DE LA SAISINE
Un employeur a licencié une assistante commerciale pour faute grave, en se fondant sur le contenu de clés USB appartenant à la salariée.
Afin de contester ce licenciement, cette salariée a saisi la juridiction prud’homale.
° L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION
La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de la salariée et approuve l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 25 janvier 2023 (n°19/06601).
Elle rappelle tout d’abord que l’accès par l’employeur, hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans une clé USB personnelle, qui n’est pas connectée à l’ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée du salarié.
Cependant, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à écarter des débats la preuve. En effet, le juge doit apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce, l’employeur justifie l’exploitation des clés USB, de manière proportionnée afin d’exercer son droit à la preuve, pour préserver la confidentialité de ses affaires. En effet, la salariée avait un comportement suspect, puisque selon le témoignage de collègues, elle avait travaillé sur le poste informatique d’une collègue absente et avait imprimé des documents, et il a été découvert qu’elle avait copié un grand nombre de fichiers de l’entreprise y compris certains relatifs à la fabrication sur des clés USB, alors qu’elle n’y avait pas accès du fait de ses fonctions.
De plus, l’employeur avait produit uniquement les données strictement professionnelles reproduites dans une clé unique, après le tri effectué par un expert qui était mandaté pour cette tâche, en présence d’un huissier de justice. Ainsi, les fichiers à caractère personnel n’ont pas été ouverts par l’expert et ont été supprimés de la copie transmise à l’employeur.
Par conséquent, la Chambre sociale de la Cour de cassation estime que la production du listing de fichiers tiré de l’exploitation des clés USB était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et que l’atteinte à la vie privée de la salariée était strictement proportionnée au but poursuivi. Dès lors, tout comme la cour d’appel, la Chambre sociale considère que les pièces relatives au contenu des clés USB litigieuses sont bien recevables.
° ÉCLAIRAGES
La Chambre sociale de la Cour de cassation précise que même si la clé USB est personnelle et non-connectée à un ordinateur, son contenu peut être utilisé comme preuve, sous certaines conditions.
Une telle atteinte à la vie privée doit être proportionnée au but poursuivi. Un employeur ne peut pas procéder à l’exploitation générale du contenu d’une clé USB personnelle non-connectée à un ordinateur et doit bien cibler l’exploitation.
Par ailleurs, il est nécessaire que la preuve résultant du contenu de la clé USB soit indispensable, afin d’établir les faits reprochés. De la sorte, si d’autres preuves sont déjà acquises, il n’est pas du tout opportun de recourir à ce moyen de preuve, car la preuve sera sûrement jugée irrecevable.
Cette solution s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle débutée par les arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 2023 (arrêts commentés sur unsa.org : https://www.unsa.org/Loyaute-de-la-preuve-des-arrets-remarques-pour-une-jurisprudence-pourtant-pas.html), car elle continue de clarifier les moyens de preuves potentiellement admissibles, même s’ils sont illicites ou déloyaux.
° DROIT EN ACTIONS
Bien que la situation en l’espèce soit défavorable à la salariée, cette solution de la Chambre sociale peut être reprise afin d’être favorable aux salariés.
En effet, un salarié pourrait exploiter le contenu d’une clé USB personnelle non-connectée à un ordinateur, s’il s’agit du seul moyen d’établir des faits reprochés et que l’atteinte à la vie privée est proportionnée au but poursuivi. Les pièces relatives au contenu de la clé USB litigieuse pourraient alors être recevables.
Ainsi, puisque les clés USB peuvent devenir de vraies armes lors de contentieux, il demeure d’autant plus important de bien faire attention à ces objets et de ne pas les laisser traîner …
Jade EL MARBOUH, Juriste, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toute remarque, juridique@unsa.org