A défaut d’organisation syndicale représentative dans l’entreprise, pas d’obligation de négocier la G.E.P.P. !

Par un arrêt en date du 11 septembre 2024, référencé n° 23-14.333, la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur l’obligation d’ouverture des négociations sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP).
Vers une “démocratisation” participative à l’évolution des parcours et de la carrière personnels et professionnels des salariés dans l’entreprise ? Pas si simple sans obligation formelle et syndicat…

APPORT DE LA DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION :

La GEPP s’inscrit par essence dans une démarche proactive de gestion anticipée des ressources humaines, des qualifications professionnelles et des parcours d’expérience et de formation. Il s’agit d’une démarche collective précieuse afin d’accompagner les changements, notamment, par leur gestion globale et par la formation, en raison de transformations du monde du travail, des emplois et des contextes économique, écologique et technologique, en partie inédits et encore aléatoires, dans les priorités…

Où en sont les juges ?

° EN BREF

Dans cette décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation déclare que l’obligation de négociation sur la GEPP s’applique seulement s’il y a une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise. De plus, la désignation d’un délégué syndical central est nécessaire en cas d’établissements distincts.

° QUELQUES MOTS SUR LE CONTEXTE DE LA SAISINE…

La fédération des services CFDT a constaté l’absence d’invitation à négocier un accord de GEPP. Face à cette carence, la fédération a assigné la société, en demandant notamment que cette dernière ouvre sous astreinte des négociations sur la GEPP et verse des dommages-intérêts pour entrave à ces négociations.

° L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION

La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de la fédération des services CFDT et approuve l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 5 janvier 2023, n° 22/06058.

Elle rappelle tout d’abord que dans les entreprises d’au moins trois cents salariés ainsi que dans les entreprises de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise d’au moins cent cinquante salariés en France, l’employeur se doit d’engager une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels au moins une fois tous les quatre ans et ce, en plus des négociations obligatoires sur la rémunération et sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Cependant, en l’absence d’accord collectif, l’employeur doit lancer des négociations au moins tous les trois ans.

En l’absence d’accord d’entreprise, le comité social et économique (CSE) doit être consulté chaque année sur la gestion des emplois et des parcours professionnels à travers les orientations stratégiques de l’entreprisesauf décision contraire de l’employeur ou en cas d’accord collectif de groupe contraire.

La Chambre sociale considère qu’il résulte de ces règles que l ’obligation de négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels est assujettie à l’existence d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise .

En l’espèce, en 2012, le syndicat CFDT n’avait pas désigné de délégué syndical au niveau de l’entreprise, mais seulement au niveau d’un établissement distinct. En 2016, il a ensuite désigné deux déléguées syndicales centrales. Toutefois, lors de la saisine en 2018, le délai de trois ans pour négocier un accord sur la gestion des emplois et des parcours professionnels n’était pas encore terminé.

Ainsi, la Chambre sociale confirme l’analyse de la cour d’appel de Paris et estime qu’au regard de ce délai non-dépassé, la demande d’ouverture des négociations par la fédération des services CFDT n’est pas fondée.

° ÉCLAIRAGES

La Chambre sociale de la Cour de cassation explique les conditions entraînant l’obligation d’ouverture de négociations sur la GEPP, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés ainsi que dans les entreprises de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise d’au moins cent cinquante salariés en France.

Tout d’abord, il est nécessaire qu’il y ait une ou des organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise, pour qu’une obligation de négociation puisse être invoquée.

De plus, il est requis la désignation d’au moins un délégué syndical au niveau de l’entreprise, et non pas seulement au niveau des établissements distincts s’il en existe.

La Chambre sociale effectue une analogie avec la consultation obligatoire du CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise, pour justifier le niveau de l’entreprise. Dès lors, ces conditions permettent de requérir l’ouverture obligatoire des négociations à la fin de la période légalement prévue, lorsqu’il n’y a pas d’accord collectif fixant une autre périodicité.

Absence de perspective “progressiste” ou plus sociale de la Doctrine ?

Pour la doctrine, cette solution de la Chambre sociale semble s’appliquer à l’ensemble des négociations obligatoires dans l’entreprise, telle que pour les négociations relatives au partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise. Cette logique présente des aspects contradictoires, à fois favorables et défavorables aux salariés, pour leurs représentants syndicaux élus et désignés dans leur entreprise et pour l’évolution du dialogue social.

° DROIT EN ACTIONS

En l’absence d’accord, s’il est remarqué au sein d’une entreprise d’au moins trois cents salariés ou dans une entreprise de dimension communautaire comportant au moins un établissement d’au moins cent cinquante salariés en France, que l’obligation triennale n’a pas été respectée alors que les conditions d’ouverture des négociations sont réunies, alors la responsabilité de l’employeur peut être engagée.

De jurisprudence constante, un syndicat peut saisir le juge judiciaire, afin qu’il constate ce manquement et impose l’ouverture des négociations (cass. soc., 5 janv. 2022, n°20-15.541).

Pour le volet pénal, il est admis que l’obligation de négocier sur la GEPP, qui se rattache aux autres obligations de négocier dans l’entreprise dont la carence est punie d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 € (article L. 2243-2 du code du travail), puisse être soumise à ce même régime.

Sur le volet civil, l’obligation de négocier n’est pas en principe assortie de sanctions particulières (TGI Paris, 5 juill. 2007, n°07-55449).

L’employeur peut encore être condamné à indemniser les salariés pour les préjudices découlant de cette absence de négociation tels que des préjudices liés à l’absence de mesures favorables à la mobilité.

Enfin, pour le dialogue social, cette solution reste plus restrictive que d’autres champs et thématiques de négociations collectives, comme la négociation collective de l’intéressement ou de la participation pour lesquels, les voies de négociations collectives sont plus ouvertes y compris à d’autres acteurs.
La GEPP devrait avoir les mêmes enjeux en favorisant davantage l’ouverture du dialogue social…

Jade EL MARBOUH, Juriste, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toute remarque, juridique@unsa.org