Droit de retrait, attention aux « faux mouvements » !

La perspective des conséquences majeures d’un « mauvais retrait » doit inviter à la prudence…

PRÉCISIONS DES JUGES :

Créé par la loi Auroux n°82-1087 du 23 décembre 1982, le droit de retrait accorde au salarié le droit de se retirer de toute situation de travail, dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent, pour sa vie ou sa santé .

Quelles situations de dangers ?

Les situations pouvant justifier l’exercice d’un droit de retrait sont diverses, telles qu’un risque d’agression, une température trop froide ou trop chaude sur le lieu de travail, des bruits excessifs, la conduire un véhicule défectueux, une absence d’équipements de protection collective ou individuelle, un risque d’allergie, des vapeurs nuisibles …

Cependant, même si ce droit est protégé, il doit être justifié. Dès lors, avant d’exercer son droit de retrait, le salarié doit bien s’assurer du motif raisonnable, au risque de conséquences disciplinaires voire financières …

EN BREF

Par un arrêt en date du 22 mai 2024, n° 22-19.849, la Chambre sociale de la Cour de cassation annonce que lorsque les conditions de l’exercice du droit de retrait ne sont pas réunies, l’employeur peut effectuer une retenue sur le salaire du salarié et ce, sans avoir l’obligation de saisir préalablement le juge sur le bien-fondé de l’exercice du droit de retrait.

CONTEXTE DE LA SAISINE

Des salariés personnel navigant commercial de la société Air France ont utilisé leur droit de retrait et l’employeur a procédé à une retenue sur leurs salaires.

Le syndicat Union syndicale d’Air France (UNSA-SMAF) et le Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC) ont saisi le tribunal judiciaire afin de contester cette retenue, en l’absence de décision judiciaire déclarant abusif ou non-fondé le droit de retrait.

L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION

La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi des syndicats et confirme le raisonnement de la cour d’appel de Paris.

La Chambre sociale rappelle l’article L. 4131-1 du code du travail, qui prévoit le droit de retrait, ainsi que l’article L. 4131-3 du même code, qui fixe qu’aucune sanction, ni retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs, qui se sont retirés d’une situation de travail, dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux.

Cependant, lorsque les conditions de l’exercice du droit de retrait ne sont pas réunies, ces dispositions n’ont pas vocation à s’appliquer.

Dès lors, si le droit de retrait n’est pas justifié, le salarié s’expose à une retenue sur salaire et ce, sans que l’employeur soit tenu de saisir préalablement le juge sur le bien-fondé de l’exercice du droit de retrait.

La Chambre sociale autorise qu’une retenue de salaire puisse être faite, sans qu’une décision judiciaire déclare au préalable abusif ou non-fondé le droit de retrait.

ÉCLAIRAGES

Par cette jurisprudence, la Chambre sociale de la Cour de cassation offre aux employeurs une grande marge d’action, puisque le juge n’a pas à être sollicité au préalable pour statuer sur la légitimité du droit de retrait.

En effet, la Chambre sociale indique que l’employeur doit estimer seul, si le droit de retrait est justifié ou non, notamment par l’analyse du motif raisonnable. Si l’employeur décide que le droit de retrait n’est pas justifié, alors il pourra opérer une retenue sur le salaire du salarié, pour le temps durant lequel le salarié n’était pas au travail et ce, sans avoir à saisir le juge.

Cette décision de la Chambre sociale est lourde de conséquences pour les salariés, qui pourraient être découragés d’exercer leur droit de retrait, au risque de voir leur rémunération baisser.

In fine, la Chambre sociale adopte la même position jurisprudentielle que la Chambre criminelle, qui avait confirmé qu’une retenue sur salaire ne constituait pas une sanction pécuniaire illicite, lorsque l’employeur estime qu’elle découle de l’exercice non-justifié d’un droit de retrait et ce, sans qu’un juge ne doive être saisi au préalable (Crim., 25 nov. 2008, n°07-87.650).

DROIT EN ACTIONS

En pratique, l’exercice du droit de retrait reste toujours délicat. L’appréciation de celui-ci ne se fait qu’au cas par cas.

Ainsi, si un salarié pense à exercer son droit de retrait, la vigilance est de mise. Il doit avoir un motif raisonnable de croire à un danger possible. Un droit de retrait légitime ne doit pas être sanctionné, en revanche, un droit de retrait non-fondé, voire abusif, peut l’être.

Puisqu’il s’agit d’une appréciation subjective, l’UNSA conseille aux salariés d’alerter, quand c’est faisable, un représentant du personnel avant d’exercer son droit de retrait.

En cas de contestation sur le motif raisonnable du droit de retrait, et possiblement de facto, sur une retenue de salaire, le salarié peut toujours saisir le juge a posteriori, afin qu’il examine le bien-fondé de l’exercice du droit de retrait. Si le juge déclare le motif du droit de retrait raisonnable et donc légitime, alors l’employeur qui a opéré une retenue de salaire devra rembourser le salarié.

La Cour de cassation autorise le salarié, dans ce contexte, à saisir le conseil de prud’hommes en référé, afin que lui soit alloué une provision sur le salaire, qui a été retenu (Soc., 31 déc. 2016, n°14-25.237).

Auteure, Jade EL MARBOUH, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toute remarque, juridique@unsa.org