Juge et harcèlement ? Dix ans de procédure pour rappeler la mission du juge…

Vos droits - Démission - stop

Harcèlement, qu’en est-il des vérifications des juges pour sa constatation et sa sanction ?
Cette chronique actualise le rôle des juges du fond sous le contrôle de la Cour de cassation…

JURISPRUDENCE SOCIALE : HARCELEMENT…

“Harcèlement moral et absence de préjudice en résultant…”

https://www.courdecassation.fr/deci…

° JURISPRUDENCE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION :

A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2023 n° 21-20.572 :
le harcèlement moral n’a pas à être corrélé à un éventuel préjudice pour être établi et reconnu…

° DECISION DU JUGE :

Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail, et, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et, que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement….

° FAITS :

Un homme a été engagé en tant qu’agent qualifié propreté, avec un salaire mensuel et une prime mensuelle de forfait vitrerie. Il était également titulaire d’un mandat de délégué du personnel. Le 10 mars 2009 il a été déclaré apte par la médecine du travail à ses fonctions de laveur de vitres pour une hauteur de trois mètres, il a été reclassé sur un poste d’ouvrier nettoyeur et le 21 décembre 2010, l’employeur l’a informé que la prime de forfait vitrerie allait être intégrée à sa rémunération brute mensuelle.

Un an après le 20 décembre 2011, il lui a été notifié une mutation disciplinaire. Enfin le 10 juin 2014 le salarié a saisi le conseil de prud’hommes en rappel de salaires et de primes, avant d’être mis à pied, à titre conservatoire, 6 mois puis, l’employeur a consulté le comité d’entreprise et saisi l’inspection du travail dans le but de le licencier, mais n’en a pas obtenu l’autorisation ce qui l’a obligé à se limiter à avertir le salarié.

° PROCEDURE :

Le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes a condamné l’employeur à verser au salarié une provision à valoir sur les primes de forfait vitrerie. Cette ordonnance a été annulée par arrêt de la cour d’appel de Versailles du 21 juin 2018.

La Cour d’appel de Versailles a été de nouveau saisie suite à un jugement de 2018 du conseil de prud’hommes ce qui lui a permis d’ajouter, le 26 novembre 2020, sur un éventuel harcèlement que, « à supposer même que le salarié ait été victime de faits de harcèlement moral de la part de son employeur, il apparaît qu’il ne donne à la cour aucun élément sur le préjudice qui en serait résulté, et en conséquence, et en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile précité, alors qu’aucun préjudice n’est automatique, la cour n’a pas à statuer sur cette demande ». Le salarié a alors saisi la Cour de cassation…

Cour de cassation…

L’enjeu pour la Cour de cassation était de juger si l’absence de préjudice résultant d’un harcèlement moral avait un impact sur le fait que la juridiction doive statuer sur cette demande ?

° ECLAIRAGES :

Le salarié reproche d’abord à la Cour d’appel de l’avoir débouté de sa demande en dommages et intérêts au titre de harcèlement moral alors que le juge ne pouvait le débouter au seul motif qu’il ne donnait aucun élément sur le préjudice qui en aurait résulté, sans s’être prononcé au préalable sur l’existence d’un harcèlement moral : il appartenait au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral

La Cour confirme en précisant qu’il faut prendre en compte les documents médicaux éventuellement produits, et que si les faits laissent présager ce harcèlement, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués n’en sont pas constitutifs, par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Donc le simple fait pour la Cour d’appel de se fonder sur l’absence de préjudice qui en résulterait est une violation de la loi.

Le salarié reproche ensuite à la Cour d’appel de l’avoir débouté de sa demande d’annulation et d’indemnisation d’une mutation disciplinaire imposée en précisant qu’il était salarié protégé, et qu’il se voyait éloigné de sa communauté de travail en toute illégalité. La Cour ayant considéré que le salarié a rejoint son nouveau lieu de travail et n’a justifié d’aucun élément montrant son désaccord et d’aucun préjudice.

La Cour de cassation juge qu’en refusant d’annuler la mutation disciplinaire sans rechercher si cette mutation n’était pas constitutive d’une violation du statut protecteur, la Cour d’appel a là encore violé la loi.

La Cour de cassation a donc cassé et annulé l’arrêt.

° FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?

Doit être censuré l’arrêt, qui, pour débouter un salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un harcèlement moral, retient que celui-ci ne donne aucun élément sur le préjudice qui en serait résulté, alors qu’il lui appartenait préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas présumer l’existence d’un harcèlement moral et si, dans l’affirmative, l’employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

° DROIT EN ACTIONS :

Cet arrêt de rendu par la Cour de cassation concernant la charge de la preuve d’un harcèlement moral, fait office de rappel de la procédure et du mécanisme en deux étapes, puisqu’il appartient d’abord au salarié d’établir les faits présumés, puis à l’employeur de prouver que les éléments soulevés ne sont pas constitutifs d’un harcèlement. Le tout en précisant que le salarié n’est pas tenu d’argumenter sur son préjudice, mais uniquement sur les agissements de l’employeur, et qu’ensuite le juge a quant à lui pour mission d’examiner l’ensemble des éléments transmis afin d’apprécier matériellement l’existence ou non d’un harcèlement moral.

Enfin, on notera malheureusement la longueur de cette procédure, pour des faits de 2009, qui témoignent de la lenteur de la justice

Auteur, Louis BERVICK, Juriste en Droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.