Le Conseil d’Etat invalide la doctrine du ministère du travail en matière de salaire minimum hiérarchique de branche. Il annule ainsi l’arrêté d’extension qui avait exclu de l’extension l’acception large du salaire minimum retenue par les partenaires sociaux de la branche du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Le Conseil d’État a tranché ! Le ministère du travail ne pouvait pas refuser d’étendre un accord collectif de branche retenant une vision élargie du salaire minimum hiérarchique (SMH). Le Conseil d’Etat s’en tient à la lettre de l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective qui ne définit pas la notion de salaire minimum hiérarchique et permet ainsi d’en retenir une acception large.
Une définition stricte donnée par l’administration…
Dans son bilan annuel de la négociation collective 2018, la Direction générale du travail avait précisé que « sont des salaires hiérarchiques les salaires minima, horaires ou mensuels, dont l’assiette est celle du Smic – ou en est très proche – (c’est-à-dire essentiellement salaire de base, primes de production ou de rendement individuelles et avantages en nature) » et que « sont des salaires garantis les salaires minima, mensuels ou annuels, dont l’assiette est plus large que la précédente ».
Cette acception restrictive de la notion de salaire minimum hiérarchique a été confortée par une série d’arrêtés d’extension d’accords salaires publiés au Journal officiel à partir du 4 juin 2019 dans lesquels le ministère du travail a procédé à des exclusions et formulé des réserves à l’extension s’agissant de dispositions conventionnelles contrevenant à l’articulation actuelle entre accords de branche et accords d’entreprise.
Etaient principalement en cause des accords dans lesquels les partenaires sociaux de la branche ont fixé une grille de salaires minima comportant une assiette qui intègre des compléments de salaire (primes, indemnités, majorations telles que prime d’ancienneté, indemnité d’astreinte, indemnité forfaitaire de frais professionnels…).
La position du ministère du travail était la suivante : les partenaires sociaux au niveau de la branche ne peuvent pas conférer un caractère impératif aux dispositions conventionnelles relatives aux salaires minima lorsque l’assiette de ces minima intègre des compléments de salaires tels que des primes ou des majorations. Il en est de même s’agissant des dispositions portant sur ces accessoires de salaires (fixation du barème des primes d’ancienneté ou du montant de l’indemnité d’astreinte par exemple).
Ainsi, lorsque l’accord de branche fixait des salaires minima intégrant des accessoires mais sans prévoir sa primauté sur les accords d’entreprise, un tel accord était étendu avec une réserve ; lorsque l’accord de branche fixait des salaires minima intégrant des accessoires tout en prévoyant la primauté de ces dispositions sur les accords d’entreprise, une telle clause d’impérativité était exclue de l’extension.
Dans un courrier adressé début septembre 2019 aux responsables des cinq confédérations syndicales, le directeur général du travail avait exclu tout assouplissement de la doctrine adoptée par les services du ministère du travail dans le cadre des procédures d’extension. Il est indiqué dans ce courrier que la notion de salaires minima hiérarchiques « ne peut inclure des compléments de rémunération, à savoir, les primes ou majorations ».
Les partenaires sociaux de la branche du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire ayant essuyé un refus d’extension ont alors demandé au Conseil d’État de reconnaître l’excès de pouvoir de l’administration qui n’a pas étendu leur accord, affirmant, à l’appui de leur requête que la loi n’a pas défini la notion de minimum hiérarchique.
… mais aucune définition légale !
Le Conseil d’État a tenu une audience le 20 septembre dernier afin de trancher la question de la définition du salaire minium hiérarchique et, partant, de décider d’annuler ou non l’arrêté d’extension qui a exclu de l’extension les dispositions de l’accord collectif intégrant dans le salaire minimum hiérarchique des accessoires de salaire.
Dans une décision rendue le 7 octobre 2021, le Conseil d’État rappelle, qu’avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017, « l’accord de branche était habilité à déterminer un montant de salaire minimum. Lorsqu’il n’en déterminait pas la structure, il était jugé que ce salaire minimum s’appliquait à la rémunération effectivement perçue par les salariés, c’est-à-dire le salaire de base et les compléments de salaire ».
Le Conseil d’Etat constate ensuite que l’ordonnance du 22 septembre 2017 ne définit pas ce que recouvre la notion de salaire minimum hiérarchique. L’article L.2253-1 du code du travail se contente en effet de préciser que la branche peut définir les garanties en matière de salaires minima hiérarchiques. « Les travaux parlementaires ne permettent pas davantage d’éclairer sa signification » , poursuivent les juges.
Les partenaires sociaux peuvent retenir une acception large du salaire minimum hiérarchique
Dès lors, face à un texte imprécis, les juges estiment que les partenaires sociaux de branche peuvent tout à fait définir, non seulement le montant, mais aussi la structure du salaire minimum hiérarchique et prévoir qu’il s’applique à la rémunération effective du salarié, incluant le salaire de base et certains compléments de salaires.
Le Conseil d’État annule ainsi l’arrêté d’extension de la ministre du travail en tant qu’il limite le champ de l’extension de l’avenant. Cette décision devrait sans nul doute faire tâche d’huile dans les autres branches concernées (services à la personne et import-export).
Quelle incidence pour les entreprises ?
Les salaires minima hiérarchiques sont un thème pour lequel les dispositions conventionnelles de branche ou d’un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large prévalent sur celles des accords d’entreprise, sauf si cet accord prévoit des garanties au moins équivalentes. On dit que les salaires minima hiérarchiques font partie des thèmes du « bloc 1 ».
Les entreprises ne peuvent donc pas déroger aux salaires minima hiérarchiques tels que définis par la branche dans un sens moins favorable.
Toutefois, un accord d’entreprise pourra toujours réduire ou supprimer les compléments de salaire identifiés par l’accord de branche, mais à la condition que soit garantie aux salariés une rémunération effective au moins égale au montant du salaire minimum hiérarchique fixé par l’accord de branche.