Article original Mediapart par Dan Israel – Jeudi 8 Juillet 2021
Le spécialiste des fournitures de bureau a été repris au tribunal de commerce par Alkor, une coopérative d’entreprises, le 3 juin. Les représentants du comité social et économique préféraient l’offre concurrente, qui garantissait plus d’emplois repris. Ce sont 963lettres de licenciement qui ont été envoyées dans un silence médiatique quasi complet le 30juin, et qu’une partie des syndicats d’Office Depot vont tenter de rendre caduques devant la cour d’appel de Douai, ce jeudi 8juillet. Les chances de réussite sont minces pour les représentants des salariés de l’entreprise, mise en redressement judiciaire le 5 février.
Le 3 juin, la reprise du distributeur de fournitures de bureau a été confiée par le tribunal de commerce de Lille à Alkor, une coopérative d’entreprises spécialisée dans le même domaine (marques Majuscule, Burolike et iOburo). Seuls les magasins ont été repris, la vente par correspondance (sous la marque Viking) et le réseau destiné aux entreprises étant liquidés. Les conséquences sont très lourdes: deux tiers des 1400 salariés sont licenciés, dont 200 commerciaux, 200 livreurs, 200 préparateurs de commande et plus de 350 salariés des services support.
Mediapart avait raconté comment le précédent actionnaire du groupe, le fonds d’investissement allemand Aurelius, était accusé par les salariés d’avoir précipité la chute en se servant dans les caisses et en n’investissant pas. Une plainte pour abus de bien social avait été déposée en 2019, déclenchant plusieurs perquisitions dans l’entreprise.L’enquête est toujours menée à Lille par l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF).
Les représentants des salariés au sein du comité social et économique (CSE), emmenés par les syndicats Unsa et CFECGC, contestent la reprise par Alkor. Leur préférence allait à la proposition concurrente, portée par Adexgroup (marques Calipage, Buro+ et Plein Ciel), adossé au fonds d’investissement Sandton Investment, qu’ils jugeaient meilleure. « Nous n’avons pas compris la décision du tribunal de commerce, que nous n’avions pas du tout vue venir, assure Sébastien Fournier, le représentant de l’Unsa. Notre position n’a jamais varié: nous soutenons l’offre la mieux-disante socialement, qui permet de sauver le maximum d’emplois. C’était le cas de celle d’Adexgroup, qui souhaitait, de plus, reprendre nos trois branches d’activité.»
Le tribunal de commerce a pourtant estimé que les deux offres étaient «sensiblement équivalentes sur le plan du maintien de l’emploi», et que celle d’Alkor était «de très loin la mieux-disante» concernant le remboursement des créanciers. Un avis que rejettent les représentants des salariés. Ils expliquent que l’offre d’Adexgroup proposait de maintenir 628 postes. De son côté, Alkor cite 830emplois sauvés, mais n’a en fait garanti que 460 reprises.
Les 370 autres postes sont accessibles via une bourse d’emploi, à laquelle les salariés licenciés peuvent postuler, sans être sûrs d’être réembauchés. Selon les données du groupe Alkor communiquées à Mediapart, 45 postes ont déjà été réattribués par ce biais, avec – ce qui n’est pas obligatoire dans ce cas – le maintien de leur salaire, de leur ancienneté et des congés payés auxquels ils avaient droit grâce à leur contrat Office Depot. Le nouveau propriétaire d’Office Dépôt insiste aussi sur le fait qu’il a repris «100% des salariés des 60 magasins d’Office Dépôt», alors même qu’une dizaine ont été fermés.
Mais la méfiance est intacte du côté de Sébastien Fournier, et de l’avocate des salariés, Céline Pares: «Accepter ce principe de bourse à l’emploi, dans lequel aucun levier juridique n’existe pour garantir quoi que ce soit, cela revient à valider une rupture du droit pour tous les futurs dossiers de reprise, estime cette dernière. En cas de transfert d’activité, le Code du travail oblige en effet les nouveaux employeurs à reprendre tels quels les contrats de travail des salariés qui continuent à travailler.»
Par ailleurs, le tribunal a estimé qu’Alkor était bien plus solvable qu’Adexgroup (avec une note de solvabilité de 18/20, contre 3/20 pour le candidat malheureux, rappelle Adexgroup), mais l’Unsa et la CFE-CGC jugent que l’évaluation des risques a été mal menée.
En effet, si 200 salariés ne sont pas repris, le coût des licenciements qui sera pris en charge par les AGS, l’organisme financé par des cotisations patronales qui prend la place des entreprises en faillite, sera presque aussi élevé que le règlement des créances à l’État…