Lire l’article original Par Florian Fayolle le 29.11.2020 à 07h00 sur Challenges.fr
En jouant la carte du terrain et du service aux salariés, la jeune centrale séduit dans les petites entreprises et les bastions de la fonction publique. Une approche disruptive qui bouscule les grands syndicats.
Pour le pape du social Raymond Soubie, président d’Alixio et ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, cela ne fait aucun doute : l’Unsa, Union nationale des syndicats autonomes, est le syndicat qui monte. « C’est la seule structure qui a le vent en poupe, analyse-t-il. La CFDT stagne, la CGT régresse et l’Unsa progresse doucement mais sûrement. » En témoigne la dernière mesure de la représentativité dans le secteur privé de 2017 : en obtenant 5,3 % des suffrages, le syndicat avait réalisé une belle percée en augmentant son score de plus de 1 point par rapport à 2013, quand la CFDT, devenue le premier syndicat cette même année, ne progressait que de 0,3 %.
Une dynamique de bel augure à l’approche des élections professionnelles dans les TPE-PME, qui auront lieu au début du mois de janvier 2021 : « Nous espérons confirmer notre performance de 2017 dans les petites entreprises, commente Laurent Escure, 50 ans, secrétaire général de l’Unsa depuis mi-2019. Nous étions la seule organisation à améliorer notre score de plus 5 points pour atteindre 18,5 % des suffrages.»
Malgré ces bons résultats, l’Unsa reste un petit Poucet qui ne peut pas encore s’asseoir à la table des grands. Le syndicat est nettement en dessous du seuil des 8 % des suffrages dans le secteur privé pour être représentatif au niveau national et négocier les grandes réformes sociales. Cela n’entame pas la combativité de Laurent Escure : « Nous pensons pouvoir franchir ce cap dans cinq ans, explique-t-il. En attendant, on enregistre de beaux succès : dans 44 % des entreprises où nous sommes présents, nous sommes numéro un. Et dans 26 %, nous sommes numéro deux.»
Levier des régimes spéciaux
Toutefois, l’organisation a réussi à mettre un pied dans la porte des grandes messes sociales lors de la réforme des retraites de 2019 qui prévoyait de supprimer les régimes spéciaux. Très implantée dans l’Education nationale, à la RATP ou encore à la SNCF (lire encadré ci-contre), elle a été un acteur clé choyé par le gouvernement pour faire redescendre la température dans les transports publics, vent debout contre la réforme. Tête-à-tête avec Emmanuel Macron, réunions multiples à Matignon avec l’ex-Premier ministre Edouard Philippe… l’Unsa, opposée à la réforme, a volé la vedette au géant cédétiste, pourtant grand partisan d’un régime de retraite universel.
Et comme le syndicat n’a pas froid aux yeux, il a convaincu l’exécutif de créer un échelon de représentativité, intégrant le public et le privé, pour lui permettre de siéger dans la future Caisse nationale de retraite universelle. Un comble pour les autres centrales, comme la CGT, qui n’ont pas eu droit aux mêmes attentions. Après avoir appris l’invitation de Laurent Escure à l’Elysée en septembre 2019, Philippe Martinez, le leader cégétiste, a dû batailler pour décrocher lui aussi un rendez-vous avec le président.
Fondée en 1993, l’Unsa a d’entrée de jeu voulu se démarquer des autres organisations en prônant un syndicalisme de service, non politisé, qui colle aux demandes des salariés. « L’organisation a réussi à trouver un bon équilibre entre une image réformiste et des actions fermes, analyse Pierre Ferracci, président du groupe Alpha. L’autre ingrédient, c’est une grande autonomie laissée aux syndicats d’entreprise, qui s’organisent comme ils veulent. Cela booste les adhésions des salariés et crée des vocations pour entrer dans le syndicalisme. »
Combats dépolitisés
C’est le cas de Vanessa Jereb, aujourd’hui secrétaire nationale, qui dans les années 2000 a fondé une antenne Unsa au sein du groupe SFR. « Il y avait un vide : les autres syndicats faisaient trop de politique et étaient trop dépendants de leur confédération, témoigne-t-elle. Nous, nous nous sommes tout de suite positionnés comme des salariés qui aimaient leur entreprise et voulaient négocier des avancées sociales. Pas question de répéter en boucle une rhétorique venue d’en haut. » Journal interne pour expliquer les négociations d’entreprise, site Web, permanences pour accompagner les salariés qui, par exemple, veulent négocier une augmentation, support juridique en cas de contentieux… La petite équipe innove en mettant sur pied des services à destination des salariés, qui commencent à affluer.
De quoi froisser les autres syndicats, qui vont intenter plusieurs procès au nouveau venu pour lui barrer la route. Sans succès, puisque l’Unsa-SFR est devenue le premier syndicat dans l’entreprise en 2016, avant de conquérir en 2019 la pole position à Altice, la maison mère. Cet exemple s’est reproduit quasi à l’identique dans d’autres grands groupes, comme à IBM ou encore au siège de Dassault Systèmes.
Pour étendre sa toile, l’Unsa déploie actuellement sur le territoire un réseau de 1 000 « aideurs », des militants qui vont à la rencontre des Français. « On part d’un constat : le syndicalisme n’est pas mortel mais mourant, avance Laurent Escure.
L’idée, c’est de toucher des salariés qui ne se situent pas dans la zone de protection des syndicats pour retisser du lien. » Sans les moyens des grosses centrales pour se payer des permanences, Escure veut lancer en 2021 des camions itinérants à la manière des pizzaïolos, qui vont se poser sur des ronds-points ou places de marché. Dans la même veine, l’Unsa va proposer une adhésion à bas prix (de 3 à 6 euros par mois) destinée aux salariés des petites entreprises. Avec toujours le même credo : donner une représentation à ceux qui n’en ont pas.
A la SNCF, un bastion de « durs »… réformistes
C’est l’une de ses places fortes. Deuxième syndicat à la SNCF avec 24 % des suffrages, derrière la CGT (34 %), l’Unsa-ferroviaire a été un acteur clé lors de la réforme des retraites. Durs dans le conflit, ces syndicalistes sont, pour Laurent Escure, le secrétaire général, un exemple de combativité : « Jamais nous n’avons été pour la réforme du gouvernement, explique-t-il. Il est donc normal que nos camarades s’y soient opposés dans un premier temps. Mais à aucun moment ils n’ont quitté la table des négociations. » Après avoir été un pilier de la grève qui a paralysé en partie la France fin 2019, l’Unsa-ferroviaire s’est désolidarisée du mouvement emmené par la CGT, non sans avoir obtenu des concessions importantes, notamment pour les agents non roulants. « C’est l’esprit de la négociation à tout prix, ce qui n’exclut pas de faire des actions fermes pour se faire entendre » , résume Laurent Escure. En clair, des réformistes qui peuvent aller à la castagne.