70 ans après, la prévoyance répond-elle toujours aux besoins de notre société ?

Retraites

L’évolution de la pyramide des âges, l’apparition de nouveaux risques et services, sans parler des bouleversements liés à la crise Covid, sont autant d’incitations à repositionner la prévoyance et à requestionner le rôle des institutions.

A la suite de la création des institutions de prévoyance en 1945, la Convention collective de 1947 (avec la couverture décès pour les cadres), transformée depuis en ANI, puis la loi dite de mensualisation de 1978 et la loi Evin de 1989 sont autant de jalons qui ont pérennisé le système de prévoyance. Ces marqueurs forts illustrent une volonté politique de consolidation des mécanismes, l’ajout de droits ayant fait basculer le système de répartition dans le monde des institutions de prévoyance. 

Qu’en est-il aujourd’hui, dans une époque marquée par la crise sanitaire et ses impacts sur les arrêts de travail et la psychologie des salariés ? Solidarité, mutualisation et prévention sont plus que jamais essentielles à l’adaptation de la prévoyance lourde. De nouveaux risques pour de nouvelles populations, tenant compte des mouvements de la société, sont aussi à considérer. Prenant appui sur l’expérience des partenaires sociaux, Culture branches pose ces questions de fond et ouvre de nouvelles pistes de réflexion :

Partie I : La prévoyance, une idée éternellement jeune 

Philippe Cevel, Directeur du Cercle de l’épargne

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Des origines à aujourd’hui, une adaptation permanente

Miroir de la société, la prévoyance s’adapte en continu aux évolutions économiques et sociétale. Dans un large panorama historique, Philippe Crevel, Directeur du Cercle de l’épargne, décrypte les mutations profondes et les bouleversements auxquels les systèmes de protection sociale doivent faire face.

 
Au commencement était la providence qui permet de sauver une situation grâce à un secours exceptionnel. La prévoyance occupe évidemment aujourd’hui un espace bien plus large : l’ensemble des contrats et garanties qui couvrent les risques sociaux mais aussi la fourniture de services et de conseil de prévention. Elle est même devenue un indicateur de l’état de développement d’un pays, des conditions du progrès et de la croissance.

Il y a 3 500 ans, les marchands phéniciens instituaient le prêt de bonne aventure, déjà fondé sur un système de mutualisation, avant que la prévoyance moderne ne voie le jour en 1670. Sous le règne de Louis XIV, sont créés les Invalides et le secours dus aux soldats blessés pendant la guerre. Les marins, puis les danseuses de l’Opéra auront ensuite leur propre régime. Avec la reconnaissance du principe d’égalité, la Révolution française enclenche fin 18ème une nouvelle mécanique que rend encore plus nécessaire la révolution industrielle : comment subvenir aux besoins des salariés du fait de leur âge ou de leur incapacité dans un univers de solidarité en pleine recomposition ?


Les garanties se développent. Au début du 19ème, l’épargne (avec la création du Livret d’épargne géré par les Caisse d’Epargne et de Prévoyance), l’assurance vie et la prévoyance progressent dans un même mouvement.  
Miroir de la société, la prévoyance n’a cessé, dès lors, de s’adapter aux évolutions économiques et sociétales. Centrées d’abord sur le droit, sur le social, puis sur la discrimination – incluant entre autres la question raciale – les inégalités ne sont plus ressenties aujourd’hui de la même façon. Les mutations de la société ont notamment fait émerger les revendications d’égalité entre femmes et hommes, avec des marges encore importantes de progression sur l’attribution des postes à responsabilité et les salaires.


Les bouleversements touchent aussi la famille – moins de mariages, plus de divorces, 25 % de familles monoparentales – la métropolisation – 9 français sur 10 vient en zones urbaines – et le rapport à l’emploi. La sidérurgie, le travail dans les mines puis à la chaine dans les années 20 et la pénibilité associée à ces métiers ont donné lieu à l’organisation de systèmes sociaux. A la différence près qu’aujourd’hui, l’industrie ne compte que 12% des actifs contre 76% dans le tertiaire. 


Informatisation, digitalisation, travail en réseau, automatisation accrue, télétravail, taylorisation, management horizontal plus informel… Les bouleversements dans le monde du travail sont légions. Avec 1,5 million de micro-entrepreneurs, apparait une nouvelle catégorie d’actifs. La multiactivité est à l’ordre du jour. La crise sanitaire et ses corolaires renforce le risque de cyberattaques… et le mouvement de défiance vis-à-vis du travail. Les incidences de ce nouveau monde sur la structure de la protection sociale et l’organisation de la prévoyance sont considérables.

 
A ces facteurs s’ajoutent l’allongement de la durée de vie, le vieillissement de la population et leurs conséquences sur la protection sociale. Comment, dans ce contexte, organise-t-on la prévoyance, comment gérons-nous le risque ? Le retard de la France en matière d’espérance de vie en bonne santé témoigne des besoins en prévention, de mesures visant les salariés âgés confrontés à des problèmes de pénibilité, d’un accompagnement plus fort de la dépendance et des aidants. Face aux évolutions multiples de la société, un espace immense s’ouvre pour le renouvèlement de la prévoyance. » 

De nouveaux risques ou la réapparition d’anciens comme les épidémies nécessitent de revoir les fondamentaux de la prévoyance. Les attaques cybernétiques, le réchauffement climatique tout comme les virus influent sur la santé et sur les modes de vie, sur l’exercice des activités professionnelles. La prévoyance est une vis sans fin tout en étant une idée éternellement neuve.


Partie II : La prévoyance, un sujet complexe, étendu et méconnu 


Dans une deuxième partie consacrée aux fondamentaux de la prévoyance, le choix a été fait, exemple à l’appui, de mettre l’accent sur les salariés, les risques encourus et les garanties.

Alexandre Gaertner, Directeur adjoint en charge de l’ingénierie sociale et des partenariats au sein de la Direction des accords de branches AG2R LA MONDIALE

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« L’incapacité, l’invalidité et le décès sont sources de précarités dramatiques »

« Revenir sur les fondamentaux de la prévoyance, c’est évoquer l’ADN même de notre métier, sa raison d’être : « protéger sa vie et ses proches ». C’est un sujet de préoccupation et de combat que nous menons au quotidien. Quand on parle de frais de santé ou de mutuelle, le grand public sait de quoi il s’agit. En revanche, la prévoyance lourde est un sujet beaucoup moins connu alors qu’il couvre l’incapacité, l’invalidité et le décès. Selon leur taux de couverture, ces risques majeurs peuvent entraîner des précarités financières importantes aux conséquences dramatiques. » 

« S’il est moins fréquemment question de la prévoyance que des frais de santé, c’est que le taux de fréquence est heureusement moins élevé pour les risques associés à la prévoyance. Pour autant, nous constatons aujourd’hui en France une augmentation significative des arrêts de travail. Et pas uniquement liés à la crise Covid. Le décès prématuré des actifs, accompagné de disparités importantes en fonction de l’origine socioprofessionnelle, est une autre réalité à prendre en compte. »


 
« Selon l’estimation du taux de couverture, 85 % de la population possède au moins une garantie, un chiffre tiré à la hausse par l’obligation de couverture des cadres datant de 1947. 62 % ont une couverture Décès, ce qui veut dire que 38 % de la population n’en a pas. Le même phénomène s’observe sur l’incapacité : 24 % n’ont pas de protection contre l’incapacité. Et pratiquement 40 % de la population n’a pas de protection contre le risque d’invalidité. »

Alexandre Lagache, Directeur technique au sein de la Direction santé prévoyance d’AG2R LA MONDIALE

 

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« La tendance récurrente aux arrêts de travail change la donne »

« Parmi les impacts de la crise sanitaire sur nos équilibres, et notamment sur le risque Prévoyance, le plus significatif concerne les arrêts de travail. A compter de mars 2020, nous avons subi un choc, une augmentation complètement atypique et imprévisible de 150 % des arrêts de travail hors garde d’enfants. L’économie s’est arrêtée. Les entreprises n’avaient pas encore connaissance de l’ampleur des mesures qui allaient être prises pour les soutenir. Les salariés en difficulté, qui ne savaient pas ce qui allait se passer, ont été conduits à se mettre en arrêt de travail. L’accalmie de quelques mois qui a suivi nous a fait penser qu’après ce choc exceptionnel, nous allions revenir à une tendance plus normale. » 

« A partir du mois d’août et jusqu’à la fin de l’année 2020, la reprise significative des arrêts de travail a pu être associée à la recrudescence du virus et au reconfinement. La situation sanitaire n’étant pas stabilisée, cette évolution pouvait s’expliquer par la multiplication des cas contacts. Puis sont arrivés les chiffres de l’exercice 2021 qui révèlent une augmentation de plus de 20 % des arrêts de travail. Au-delà d’un contexte sanitaire tendu, le mouvement semble donc récurrent. Une nouvelle donne se présente à nous sur le risque de l’arrêt de travail et son coût. » 

« Encouragé par la crise sanitaire, le recours au télétravail modifie les habitudes. Les mutations de la société et les nouvelles manières de travailler, en flex office ou en full remote, à 100% en télétravail, impactent aussi les salariés. De manière générale, tous les changements d’ampleur influent sur ce risque d’arrêt de travail, en prise directe avec l’économie, que nous devons piloter de manière très fine. »

Anne Charlotte Bach, Responsable d’équipe au sein de la Direction des accords de branche d’AG2R LA MONDIALE

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« Le maintien du niveau de vie, fil conducteur des négociations sur la prévoyance »

« D’une situation d’incapacité ou d’invalidité découle d’un même événement qui est l’impossibilité pour le salarié d’aller travailler. Donc un arrêt de travail. L’incapacité de travail relève d’une impossibilité temporaire qui peut durer jusqu’à trois ans, trois années durant et au-delà desquelles le salarié bascule en invalidité. L’impossibilité devient permanente et considérée comme définitive. Le salarié pourra rester en invalidité jusqu’à son départ à la retraite. On parle alors de risques longs, généralement associés à des risques lourds. »

« Prenons l’exemple de Michel, un cadre de 45 ans, avec cinq ans d’ancienneté, qui rencontre un problème de santé le contraignant à s’arrêter pendant neuf mois. Michel bénéficie du maintien de salaire Employeur pendant deux mois, à l’issue desquels, s’il n’a pas de couverture Prévoyance, il retombera à l’indemnisation de 50 % du salaire brut, dans la limite de 1,8 SMIC. La prévoyance apparait extrêmement utile pour compléter ce niveau d’indemnisation. Le maintien des revenus du salarié au quotidien et de son niveau de vie doit être le fil conducteur des négociations que vous menez. »

« S’il se retrouve en invalidité, Michel touchera 50 % du salaire brut s’il est en catégorie 2, le cas le plus fréquent et à 30% en catégorie 1. Ce risque Invalidité est le plus méconnu et le moins bien indemnisé alors qu’il peut durer potentiellement plusieurs années, jusqu’au départ à la retraite. Sachez que sur 23 branches comportant de 50 à 100 000 salariés, 83 % des accords qui ont été négociés en prévoyance prévoient des garanties identiques pour l’ensemble du personnel, cadres ou non-cadres. Cette statistique peut être aussi appliquée à l’incapacité et l’invalidité. En revanche, des écarts sont souvent constatés sur le décès. »

Nicolas Friederich, Directeur adjoint en charge du développement au sein de la Direction des accords de branche d’AG2R LA MONDIALE

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« Un grand nombre de branche prévoit un capital décès étendu aux non-cadres »

« En cas de décès, l’accompagnement de l’Assurance Maladie consiste dans le versement d’un capital dédié aux frais. Les proches de la personne décédée ont un mois pour en faire la demande. Ceux ayant contribué à régler les frais médicaux de fin de vie peuvent également se les faire rembourser. Depuis le 1er avril 2021, le montant forfaitaire est de 3 476 euros sous conditions que la personne décédée ait exercé une activité professionnelle dans les trois mois précédant sa disparition. » 

« Ce montant étant largement insuffisant pour couvrir les dépenses liées à un décès, les branches se sont appropriées ce sujet de prévoyance complémentaire. Le dispositif de garantie décès du salarié cadre mis en place en 1947 a été repris pour les non-cadres. Selon la cotisation attribuée au capital décès, le montant forfaitaire va d’une à trois années de salaire, complété éventuellement par une allocation Obsèques. Beaucoup de branches prévoient ce capital décès. » 

« Les accords prévoient des majorations supplémentaires de l’ordre 20 à 25 % du salaire annuel du défunt, versées sous forme de capital à chaque personne à charge, conjoint et enfants. Il faut rappeler que le capital suit des règles très strictes en France. La désignation des bénéficiaires doit par exemple être faite avec le plus grand soin. Dans beaucoup de branches des garanties de type rente éducation se mettent en place avec deux paliers :  un palier classique jusqu’à un niveau proche des études supérieures et un autre à partir des études supérieures. »

Partie III : Table ronde « Face aux nouveaux enjeux, une prévoyance à faire évoluer »

Quel regard portez-vous sur la prévoyance aujourd’hui et quelle vision en avez-vous pour l’avenir ? Les représentants de grandes organisations de salariés et d’employeurs répondent à ces nouveaux enjeux. 

Mireille Dispot, Secrétaire nationale confédérale CFE CGC en charge de l’égalité des chances et de la santé au travail

« L’ANI de 1947 a servi de locomotive » 

« Nous partageons l’idée que, depuis les ordonnances de 1945 portant création de la Sécurité sociale, les systèmes de protection, basés sur la solidarité, poursuivent une ambition d’intérêt général : préserver la santé et l’intégrité physique des individus. La Convention Collective Nationale de 1947 a mis en place deux types de couverture, la retraite complémentaire et la prévoyance lourde pour les cadres, le fameux 1,5 % à la charge des employeurs dont la garantie doit être fléchée en priorité sur le décès. »


« La prévoyance lourde n’est ni réglementée, ni obligatoire. Contrairement à la complémentaire santé généralisée à tous les salariés ou au dispositif 100 % santé, elle trouve son fondement dans la liberté de négocier ou pas des accords. Autre constat : le 1,5% est une obligation minimale de cotisation pour les cadres et assimilés, mais rien n’empêche l’employeur de cotiser à la même hauteur pour d’autres salariés. Enfin, l’ANI de 1947 a servi de locomotive. Elle a été pérennisée suite à la fusion AGIRC-ARRCO : deux ANI ont été signés en  2017 l’un sur le régime unique de retraite complémentaire ; l’autre sur la prévoyance des cadres. L’ANI Encadrement de 2020 a consolidé la pyramide. Puis le décret de juillet  2021 sur les « catégories objectives » a sécurisé l’ensemble du dispositif tant côté employeurs que salariés. » 

« A la CFE CGC, nous avons conscience que, compte tenu de l’évolution de la société, les garanties conçues en 1947 ne correspondent plus aux besoins de nos populations. En l’absence de protection sociale obligatoire, nous avons proposé à nos branches de mettre en place un socle de garanties minimums couvrant le décès, l’arrêt de travail et la dépendance. Si AG2R LA MONDIALE peut nous apporter son concours, c’est bien sur ces questions. La couverture d’une prévoyance lourde obligatoire pour tous fait partie des sujets prioritaires portés par la CFE CGC. »

Hugues Vidor, Directeur général d’ADEDOM, Président de l’UDES

 

«Maintenir un régime de prévoyance fort, avec un niveau de cotisation élevé.»

« L’économie sociale et solidaire, ce sont 2,3 millions de salariés et 16 branches professionnelles représentées au sein de l’UDES par les employeurs. L’aide à domicile et les métiers du « care » en particulier vivent une période compliquée, avec une moyenne d’âge élevée, de forts besoins de recrutement, des problèmes d’attractivité, de reconnaissance, de rémunération….  Dans ce contexte, il est nécessaire de maintenir un régime de prévoyance fort, avec un niveau de cotisation élevé. Nous sommes à 4,3 %, ce qui est tout à fait probant. » 

« Nous sommes très attachés à la mutualisation pour que l’ensemble des salariés soit couvert, quels que soient la nature des contrats de travail, l’état de santé des salariés, leurs consommations en soin ou les conditions d’exercice. Un bon dialogue social nous permet d’adapter les prestations aux besoins. Dans le cadre du fonds social, les négociations portent en particulier sur la prévention des risques routiers et celle des TMS. S’il est important de bien vieillir, il faut aussi pouvoir travailler en bonne santé jusqu’à la fin de sa vie professionnelle. Depuis 2020, de nouvelles prestations sont proposées en matière d’accompagnement des salariés handicapés et hospitalisés, ce qui rejoint les problématiques sur les maladies graves et les aidants familiaux. »

« Notre réflexion au sein de l’UDES porte sur la façon dont la prévoyance peut s’adapter aux nouveaux enjeux sociétaux. Comment gérer la question du télétravail, notamment les risques psychosociaux associés ? La question de notre impact sur le climat est un autre point capital. Comment aborder cette question dans nos régimes de prévoyance ? Comment entraîner l’adhésion des entreprises et modifier les comportements des salariés ? Enfin, sur la question du grand âge, l’acception d’un financement socle par la solidarité nationale n’empêche pas d’imaginer des compléments. »
 

Serge Legagnoa, Secrétaire confédéral FO au Secteur de la Protection Sociale Collective

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« Un rôle collectif et pédagogique pour faire connaitre leurs droits aux bénéficiaires »

« En dehors des initiés, le grand public méconnait ce que recouvre la prévoyance lourde. A ce titre, nous avons à jouer un rôle collectif et pédagogique pour faire connaître leurs droits aux bénéficiaires qui, hélas, les découvrent souvent au moment où le risque survient. Être confronté à un risque lourd, dans la difficulté, sans l’avoir envisagé, est toujours extrêmement compliqué. Nous avons un devoir de clarté dans la définition et dans la rédaction même des accords. »

« Sur la partie prévoyance, les clauses de recommandation étant un échec, nous sommes en faveur d’un retour aux clauses de désignation. Sur la couverture elle-même, les différences entre salariés cadres et non-cadres sont notables. Les accords de prévoyance couvrent environ 15 des 19,7 millions de salariés du secteur privé. C’est important mais il reste un volant conséquent de salariés non couverts. Il faut s’interroger sur les disparités sociales existantes et encourager la meilleure couverture possible pour les plus précaires. » 

« Il y a aussi un travail pédagogique à faire auprès de nos négociateurs. Nous devons collectivement appréhender ces sujets complexes et proposer des pistes d’amélioration. La prévention n’est pas valorisée alors qu’elle a un impact positif sur la réduction, voire l’élimination des risques, et donc sur l’accompagnement par l’Assurance Maladie et les régimes complémentaires. La crise sanitaire a mis en exergue les difficultés liées au télétravail et l’absence de prise en charge des salariés contraints au chômage partiel. Sur les questions de dépendance, même si la cinquième branche est créée, il n’y a pas de loi Grand Âge, pas d’investissements prévus. Pour faire face à toutes ces problématiques, une vraie concertation sur un ANI Prévoyance permettrait de définir un socle homogène, complété par des négociations dans les différentes branches. »

Anne Fradier, Secrétaire générale du SEDIMA

«Il est essentiel que les négociateurs accompagnent l’organisme gestionnaire»

« La branche SDLM couvre la vente et la réparation du matériel de travaux publics et de manutention, la réparation du matériel agricole et les services représentés par le SEDIMA. Ses 80 000 salariés et ses 7 000 entreprises, dont beaucoup de petites, sont essentiellement en zones rurales et périurbaines. Majoritairement masculine, cette population de techniciens fait peu appel aux arrêts de travail. C’est pourquoi l’accord négocié en 1988 dans le cadre du régime de prévoyance prévoit la prise en charge de l’arrêt de travail dès le premier jour. » 

« Très vite, un accord global s’est imposé sur une cotisation unique couvrant trois risques. La contribution de 1,75 couvre l’arrêt de travail à 100% pendant 180 jours, puis à 80 % pendant trois ans. Les salariés bénéficient d’un relais Invalidité à 80 % du salaire net jusqu’à l’âge de la retraite et d’un capital décès d’un an de salaire doublé en cas de décès accidentel. La charge, répartie à 60 % pour l’entreprise et 40 % pour le salarié, n’a pratiquement pas évolué depuis la mise en place du régime. La prévoyance, c’est bien entendu de la solidarité, de la mutualisation, mais c’est aussi un coût qu’il est important d’intégrer dans une logique de pérennité et de stabilité. »

« Au fur et à mesure, nous avons intégré dans les accords les situations concrètes qui remontaient du terrain. Par exemple, très tôt, la possibilité de percevoir le capital décès, y compris en cas d’arrêt de travail sans salaire. La réduction de la durée du départ en retraite sans augmentation de cotisation a pu être prise en compte ainsi que la portabilité. Il est essentiel que les négociateurs accompagnent l’organisme gestionnaire. Concevoir un régime de prévoyance exige de négocier des accords mais aussi de les suivre, d’être vigilant et de réagir régulièrement. »

Philippe Soulard, Secrétaire général adjoint de la CFTC CSFV

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« Pour une mutualisation, au sens le plus large possible »


« La prévoyance est indispensable pour compléter la prise en charge de l’Assurance Maladie et des organismes existants. Au-delà du risque lourd de décès, nous souhaitons à la CFTC aller vers la prise en charge des enfants et des ayants droit. S’agissant des contrats responsables et collectifs, mutualiser le risque relevant de la prévoyance et maîtriser les coûts dans l’intérêt des salariés et des entreprises sont les conditions d’un pilotage paritaire au niveau de la branche. Ce type de contrat doit rester attractif, c’est à dire couvrir qualitativement la plus grande proportion possible de salariés. Les réponses apportées par la prévoyance peuvent paraître limitées au regard des problématiques actuelles. D’autres risques sont à considérer comme l’autonomie, l’adaptation ou la pénibilité des métiers. » 

« Quant aux pistes pour demain, elles portent pour nous sur la dépendance et l’autonomie. La création de la cinquième branche de la Sécurité sociale doit permettre de revoir le modèle, avec un panier santé sur l’autonomie incluant les besoins de prise en charge. Formations et prévention doivent aussi être développées pour faire de la prévoyance en mutualisant le plus largement possible. » 

« Consacrer une partie de la cotisation à la prévention, lui octroyer une ligne budgétaire, cela suppose une volonté politique. Nous courons sinon le risque, en reculant l’âge de départ en retraite, que les salariés soient « cassés » et ne puissent pas continuer à exercer un emploi. La CFTC milite en faveur de la mutualisation la plus large possible dans l’intérêt des salariés, et notamment des salariés de petites entreprises, de façon qu’ils bénéficient des mêmes garanties que ceux des grandes entreprises. »

Manu Blanco, Dirigeant confédéral en charge de la protection sociale et politique de santé à la CGT

« Être plus égalitaire dans les branches professionnelles et dans les entreprises »

« Ces échanges montrent que nous avons intérêt, tous ensemble, à réaffirmer quelques-uns de nos principes fondamentaux comme la santé et la prévoyance. Réaffirmer aussi vouloir maintenir un système de solidarité géré paritairement. Malgré les évolutions enregistrées depuis un demi-siècle, l’état des lieux de la prévoyance révèle encore des difficultés. Une part importante des populations salariées n’est toujours pas couverte, il y a quasiment autant d’accords de prévoyance que de branches professionnelles. La question mérite d’ailleurs d’être posée : est-ce que les accords de prévoyance en branche ne contribuent pas eux aussi à creuser les inégalités au sein de la population salariée ? » 

« Je ne suis pas du tout convaincu que la restructuration des branches puisse contribuer à une prévoyance de branche de bon niveau. En premier lieu parce que la multiplicité des métiers représentés va en faire de grandes branches « fourre-tout ». Les dispositions actuelles laissent déjà sur le bord de la route un certain nombre de salariés confrontés aux aléas de la vie. Comment travailler à l’avenir de façon à être plus égalitaire en matière de prévoyance dans les branches professionnelles et dans les entreprises ? »

« La CGT encourage la création d’un pôle public de santé doté d’une gouvernance démocratique où chacun ait sa place : les organisations syndicales de salariés, les organisations syndicales patronales, les professionnels de santé et bien entendu les patients. La question est de savoir comment mettre en cohérence ce qui relève du droit et de l’accès aux soins pour tous, mais aussi le droit à faire face à tous les accidents de la vie. Pour que cette articulation fonctionne dans le cadre d’un pôle de santé publique, il y a une absolue nécessitée à ce que l’on travaille de concert avec les institutions de prévoyance. »


Jocelyne Cabanal, Secrétaire nationale de la CFDT

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« Renforcer la proximité entre l’institution paritaire et les salariés couverts. » 

« Aujourd’hui, tous les salariés ne sont pas couverts en invalidité, en décès, en rente conjoint ou enfant. C’est une grande injustice. D’autant que les familles évoluent. La réduction de certains risques comme le vieillissement ou l’usure professionnelle sont des thèmes sur lesquels nous aimerions travailler avec AG2R LA MONDIALE. Alors que les arrêts maladie longue durée augmentent, comment peut-on accompagner le vieillissement au travail, de sorte que les salariés ne se retrouvent pas en rupture ou en désinsertion professionnelle ? Plutôt que de payer des indemnités journalières de façon curative, mieux vaudrait prévoir des dispositifs de prévention qui diminuent l’intensité du travail et permettent des temps de repos. »

« A la CFDT, tout un travail a été fait sur la façon de prendre en compte le parcours de vie des salariés et de réduire le non-recours au droit en matière de portabilité. J’attends que cette dimension soit également intégrée au niveau de la prévoyance lourde. Nous souhaitons renforcer la proximité entre l’institution paritaire et les salariés couverts. Renégocier un ANI qui pose la question de la prévoyance lourde peut être un moyen de garantir une couverture pour chacun. La question se pose aussi pour les nouvelles formes d’emploi, les travailleurs indépendants et les travailleurs des plates-formes. »

Il est vraiment important que la négociation de branche soit très dynamique sur le sujet de la prévoyance. Le risque de prévoyance est un risque tellement lourd, que sans mutualisation, il y aura toujours d’énormes injustices entre les grosses et les petites entreprises. C’est le message que je passe à tous nos négociateurs : de s’investir à fond pour augmenter le périmètre, faire en sorte que tous les salariés, cadres et non-cadres, soient couverts et se pencher sur de nouveaux risques à intégrer.

Jean-René Le Meur, Directeur des affaires sociales, branche de l’enseignement privé non lucratif

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« Pour un droit de qualité, accessible et effectif, éviter d’ajouter des difficultés à la douleur. »


 
« Notre branche recouvre plus de 5 000 structures juridiques du secteur associatif, financées à 80 et jusqu’à 90 % par des fonds publics et associées pour une grande majorité du service public de l’Education. Parmi les 230 000 actifs, 130 000 ont une activité en tant qu’agent public dans nos établissements et 100000 en tant que salarié et nombre d’entre eux ont une double activité sur les deux statuts. 
Le pilotage sur la base de la plus large mutualisation fait clairement partie de nos enjeux. » 
 
« J’insiste sur notre capacité à rendre les droits accessibles et effectifs. Lorsqu’un nouveau salarié arrive dans notre fédération, nous l’accueillons en lui rappelant nos engagements et notre responsabilité et surtout que notre mission est faire du droit de qualité, accessible – et par conséquent compréhensible – mais aussi effectif. Rien ne sert de multiplier les droits sans garantie réelle et applicable. Et éviter le renoncement aux droits, ce qui nous est insupportable.
Adapter le droit à la société et le rendre effectif fait partie de notre quotidien. Les bouleversements survenus ces deux dernières années créent entre les relations au travail et la vie familiale un rapport diamétralement opposé à ce que nous connaissions. Il y a désormais une porosité acceptée entre vie personnelle et vie professionnelle. »
 
« L’accompagnement des aidants est un autre sujet sensible. 80 % de nos salariés sont des femmes, employées en règle générale à temps partiel et à bas salaire, et qui plus est hyper sollicitées par la famille pour accompagner les enfants ou les anciens. Il y a indéniablement des choses à faire pour les aider au quotidien. Peut-être que notre action, demain, consistera à alléger ces personnes des difficultés rencontrées dans leur vie quotidienne, qu’elles soient d’ordre financier, social ou administratif. Et ne pas ajouter des difficultés à la douleur. Nous avons une réflexion sur le cumul d’emploi et la simplification. Le logement et la mobilité méritent sûrement aussi une réflexion. Il y a beaucoup de chantiers sur la table. »